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Les comics et le MCU #3 : « Civil War », adaptation ratée ?

  • Owen 

Sans les comics, le MCU n’existerait pas. S’il n’hésite pas à s’en éloigner pour créer sa propre histoire, le point de départ de chacun de ses films et séries reste néanmoins ancré dans son matériau d’origine. Ainsi, chaque mois nous allons essayer de nous intéresser à un comics qui a pu servir de base à une œuvre de l’univers cinématographique, sans spoilers et pour vous donner l’envie d’approfondir. Aujourd’hui, on revient sur peut-être le plus grand comics Marvel du XXIe siècle, Civil War, et sur son adaptation délicate dans le MCU.

La trilogie Captain America du MCU

Captain America dans le MCU

Revenons en arrière, aux débuts de l’univers cinématographique qu’on appelle désormais MCU. La machine se met tranquillement en place, pose ses pions, n’a pas encore sorti le mastodonte et la révolution dans le monde du blockbuster que sera le premier Avengers en 2012. Depuis 2008, Marvel sort des films qui racontent l’origine des héros de sa future équipe, avec un succès critique franchement inégal (Iron Man 2 et Thor, voire le très étrange Hulk avec Edward Norton) mais une vraie réussite sur le plan commercial. Le premier Captain America, sous-titré The First Avenger (sans doute pour pousser le public à aller voir le film), dernier film avant l’évènement Avengers, n’est pas le plus populaire, mais il est pourtant une des propositions les plus honnêtes de la franchise, avec son ambiance années 40 et le formidable protagoniste qu’est Steve Rogers, incarné par un impeccable Chris Evans

The First Avenger contre les armées de Crâne Rouge, que demande le peuple ?

Avengers (2012) devient par la suite un phénomène, à la fois le premier film du MCU à atteindre le milliard au box-office, et aussi la consécration du modèle Marvel qui va les emmener à 29 films sortis au cinéma et maintenant plusieurs séries sur Disney +. Très logiquement, les personnages qui composent l’équipe sont amenés à poursuivre leurs aventures en solo, et c’est ainsi que la franchise Captain America hérite logiquement d’un second volet, The Winter Soldier (inspirée du comics éponyme), en 2014. Le film réalisé par les frères Russo, futurs hommes à tout faire de Kevin Feige, est une vraie réussite, jouant sur les doutes de l’homme à la bannière étoilée et mettant en scène une ambiance de thriller politique très premier degré qui fonctionne à merveille. C’est encore à ce jour l’un des meilleurs films du MCU et il consacre la série Captain America après les semis-échecs critiques que sont Iron Man 2 et 3 (sortis respectivement en 2010 et 2013). 

Puis arriva le troisième volet, Civil War, sorti en 2016. L’histoire de la production du film pose déjà un premier problème : il est né en réaction directe à l’annonce de Batman V Superman chez DC. Le scénario est encore en phase d’écriture alors que le tournage commence, et on sent clairement deux trames narratives qui se parasitent entre elles et réduisent la portée du film. D’un côté, la continuation de l’histoire du Soldat de l’Hiver, placé au cœur du film, de l’autre une tentative d’adaptation d’un des plus gros comics du XXIe siècle en créant un nouveau conflit difficilement crédible (les arguments du Général Ross, qui cite en exemple la Bataille de New York du premier Avengers, sont vraiment légers). Résultat, une petite déception par rapport à l’impact culturel du récit dont il s’inspire, malgré Spider-Man, malgré l’interprétation touchante de Robert Downey Jr (qui a failli ne pas être de la fête d’ailleurs) et malgré l’introduction de l’incroyablement badass Black Panther. La mise en scène très plate des frères Russo (la plus grosse scène de baston du film dans un aéroport d’une tristesse infinie, où tout est gris) n’aide pas à faire de Captain America : Civil War le feu d’artifice espéré, même s’il écrase le box-office et jouit de bonnes critiques. 10 ans plus tôt, la guerre civile qui oppose Iron Man et Captain America en comics est un évènement qui voit tout en plus grand et en plus ambitieux, jusqu’à une conclusion qui laisse pantois. 

Si la symbolique n'était pas assez forte, regardez le drapeau américain déchiré par terre

Le contexte : une Amérique paranoïaque

Une équipe de jeunes super-héros, les New Warriors, sont en mission pour capturer un groupe de super-vilains obscurs. Ils interviennent et commencent à mettre une sacrée rouste à leurs adversaires, alors qu’ils sont filmés pour une émission de télé-réalité. Jusqu’ici tout va bien. Sauf que le méchant Nitro décide d’utiliser ses pouvoirs et détruit un quartier entier, tuant les héros et les habitants, notamment des centaines d’enfants qui se rendaient à l’école locale. Planche suivante, étalée sur les deux pages : Captain America et Iron Man se font face, au milieu des ruines et de la désolation. Voilà l’ouverture glaçante de Civil War, qui pose déjà clairement ses enjeux et ses grands questionnements. Que se passerait-il réellement si les super-héros vivaient au sein de notre société ? Qui doit être tenu responsable en cas de désastre causé par des individus surhumains ? Ce monde est sujet aux mêmes dérives que le nôtre, où des adolescents dotés de super-pouvoirs sont les héros d’un feuilleton télévisé complètement lunaire, mais pas si absurde que ça si on y réfléchit bien. Le récit pose des bases dramatiques pour une suite qui le sera tout autant, avec des héros autrefois alliés et même amis appelés à se battre quasiment jusqu’à la mort entre eux pour défendre leurs idées. 

La minute de vérité, version Marvel

Marvel fait le choix de l’expérimenté Mark Millar pour écrire cette guerre civile préparée depuis des années. C’est un habitué des histoires très ancrées dans le réel, participant au reboot Ultimate au début des années 2000, qui présente un univers Marvel aux problématiques ultra réalistes. Il est notamment à la manœuvre sur la série Ultimates, version modernisée des Avengers (c’est très particulier si vous êtes curieux). Comprendre Civil War, c’est comprendre le contexte dans lequel se trouvent les États-Unis à l’époque. Leur hégémonie mondiale post-Guerre froide a été complètement ébranlée par les terribles attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001, et le pays est traversé par une paranoïa sécuritaire qui touche toutes les strates de la société. Ces angoisses se retrouvent dans Civil War, qui présente un monde qui remet en cause ses héros masqués et leurs actes. C’est ainsi un récit très mature, très politique, qui met aux prises deux représentants d’une certaine idéologie : Iron Man et Captain America

Le premier est un ancien constructeur d’armes, génie scientifique milliardaire qui représente l’idée qu’il faut se conformer et sacrifier certaines de ces libertés pour garantir la sécurité de tous. Le second, icône de propagande pendant la Seconde Guerre Mondiale et symbole du rêve américain, est un idéaliste hors du temps, qui pense que les super-héros sont des citoyens qui doivent jouir des mêmes droits que les autres américains. Sécurité ou liberté, c’est le débat central de Civil War, symbolisé par une Loi de Recensement qui force tous les individus surhumains à dévoiler publiquement leur identité et à se faire recenser par le gouvernement pour continuer leurs activités. Le titre est évidemment une référence à la Guerre de Sécession (1861-1865), évènement qui a scindé les États-Unis en deux parties et créé par la même occasion un réel traumatisme dans la société américaine (et appelée communément “Civil War” en anglais). 

Dernière poignée de main avant la guerre...

Aucun méchant, aucun gentil, juste la guerre

Avant Civil War, des histoires qui mettent en scène des super-héros qui s’affrontent, ce n’est pas nouveau. La première apparition de Wolverine le place sur le chemin de Hulk, par exemple. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de cet affrontement. Tous les individus dotés de pouvoirs sont concernés par la Loi de Recensement, et dans l’Univers Marvel, ça fait beaucoup de monde. Alors que les camps se forment, Millar joue avec nos attentes en plaçant Spider-Man dans le camp d’Iron Man, amenant Peter Parker à dévoiler à la télévision sa sacro-sainte identité secrète. Les 4 Fantastiques sont déchirés quand Sue Storm, la Femme Invisible, et son frère Johnny, la Torche Humaine, décident de rejoindre le camp de Captain America. 

Team Iron Spider

Le conflit amène Cap à trahir quelque peu ses principes moraux, tandis qu’Iron Man s’enfonce dans son obsession, qui l’amène à la création d’une prison dans la Zone Négative. Les scientifiques pragmatiques que sont Tony Stark et Reed Richards sont confrontés à leurs propres contradictions, alors que Steve Rogers, éternel idéaliste, tente de rester pur dans ce monde cruel et sans pitié. Civil War marque également l’émergence des Thunderbolts, une équipe de super-vilains au service du gouvernement qui joueront un rôle majeur par la suite. La frontière entre héros et méchants est totalement brouillée.

Une des interactions les plus intéressantes du récit confronte ainsi Cap et l’anti-héros ultime de Marvel (Deadpool exclu parce que… c’est Deadpool), à savoir Frank Castle, le Punisher. Un ancien soldat qui a dévoué sa vie à tuer les criminels après l’assassinat de sa famille, que ses méthodes violentes rendent très controversé auprès de ses pairs (revoir le superbe dialogue avec Daredevil dans la série éponyme de Netflix). Castle sauve un héros (qui restera anonyme pour ne pas spoiler) des griffes de méchants et le ramène au QG de Captain America, avec l’intention de rejoindre ses rangs. Mais Rogers s’y oppose et rejette violemment sa proposition. C’est encore un conflit très symbolique, entre deux vétérans issus de deux guerres différentes qui ont des visions radicalement opposées. L’occasion de rappeler qu’être un méchant ou un gentil, c’est souvent une question de point de vue

Cap vs le Punisher, inattendu mais bouleversant

La place du super-héros dans nos sociétés

Pourquoi les super-héros existent-ils dans l’univers Marvel ? La majorité du temps, ce sont des individus avec des pouvoirs surhumains qui pensent qu’il faut agir pour protéger l’innocent et rendre la justice. Civil War applique un principe déjà bien connu des héros “de rue” comme Daredevil ou Spider-Man à l’ensemble de ses personnages. La justice est représentée par des institutions, qui sont certes parfois inefficaces, mais personne ne peut se placer au-dessus d’elles. Dans notre monde, il est fortement probable que la question d’une Loi de Recensement aurait fini par se poser. 

Le début des problèmes pour Peter Parker

Comme avec Ultimates, où il explorait les déboires de ses protagonistes, Millar explore avec Civil War la place du super-héros dans la société américaine, qui a tendance à mettre sur un piédestal ces demi-dieux qui sont au fond profondément humains. On voit la chute d’une icône en la personne de Captain America, jadis outil de propagande devenu paria, mais aussi celle de Tony Stark, qui malgré son ascension commet déjà des erreurs qui amèneront à des échecs dramatiques. Mais si le lecteur choisira sans doute le camp des rebelles de Steve Rogers, ne soyons pas tout blancs ou tout noirs. 

Car l’idée de la mise en place d’un programme d’entraînement des jeunes surhumains dans chaque État des États-Unis au lieu de les laisser courir des risques inutiles est réellement intéressante. Mais aussi parce que derrière tous ses projets très problématiques, Tony Stark est toujours un personnage passionnant plein de bonnes intentions mais à l’esprit torturé, qui le force parfois à prendre des décisions difficilement pardonnables. L’acte final du comics se veut ainsi à la fois être un affrontement complètement épique et démesuré, mais aussi un coup de poing émotionnel qui ne peut pas laisser indifférent

Pourquoi l’adaptation dans le MCU était impossible ?

Mais alors pourquoi, malgré la présence d’un tel matériau de base, le film Captain America : Civil War sorti en 2016 est un peu un pétard mouillé ? En réalité, les frères Russo ont fait un peu ce qu’ils pouvaient, et on peut se poser la question de savoir si le comics est réellement adaptable au cinéma. On a déjà évoqué les problèmes de production du film, qui n’ont pas aidé à améliorer le produit final. Un scénario pas fini avant le début du tournage, ce n’est jamais une bonne idée (coucou Star Wars 9).

Son principal défaut, c’est finalement son manque d’ambition et d’ampleur par rapport à ce qu’il aurait dû être. Et malheureusement, c’est inhérent à son existence même. Le MCU n’était pas encore assez développé et étendu à l’époque pour représenter la bataille complètement épique du comics : pas de X-Men ou de 4 Fantastiques, pas de Young Avengers ni de 50 State Initiative. On saluera les excellentes introductions de Spider-Man et de Black Panther, mais c’est bien trop peu. Le problème aussi, c’est qu’un petit film appelé Avengers : Infinity War doit sortir deux ans plus tard, et difficile de créer des vrais enjeux et une vraie tension quand tous les principaux héros doivent être au rendez-vous pour l’affrontement ultime contre Thanos

C'est sympa, mais c'est quand même un peu gris

Qu’on soit clair, les frères Russo ne sont pas exempts de tout reproche. Après l’excellent Captain America : Winter Soldier, les réalisateurs étaient attendus au rendez-vous avec un nouveau statut et un film majeur de l’écurie Marvel. Et du point de vue visuel, Civil War est une sacrée déception. Le film est traversé par un filtre grisâtre (qui deviendra la norme pour pas mal de productions du MCU) et la réalisation est terriblement peu imaginative, avec en point d’orgue cette confrontation dans l’aéroport, sensée être le moment le plus épique du film et qui se transforme en bouillie numérique difficilement lisible. On retiendra tout au plus un joli plan hommage aux comics lors du dernier acte. 

D’un point de vue écriture, on l’a dit plus haut, l’histoire ne sait pas trop si elle doit adapter Civil War ou être une vraie suite à Winter Soldier. Ainsi, le méchant Zemo (parfaitement incarné par l’excellent Daniel Bruhl), qui aurait pu être un des antagonistes les plus mémorables du MCU, se retrouve un peu sous-utilisé au profit du triptyque Bucky / Cap / Iron Man. Peut-être aurait-il fallu suivre la voie du comics et ne pas installer de menace extérieure ? Zemo devient par conséquent l’exposition pour ce que le récit originel parvient brillamment à faire comprendre : ces super-icônes ne sont au final que des humains, capables des pires violences pour ce qu’ils croient être juste.

Fan-service ou vrai hommage ?

Pour conclure, j’ai ici pas mal critiqué le film, mais il est loin d’être une mauvaise addition au MCU. L’affrontement moral entre Stark et Rogers est parfaitement interprété par Robert Downey Jr et Chris Evans, avec un Iron Man au bord de la rupture et un Captain America tiraillé entre ses affections et ses principes. Le twist final est également une bonne trouvaille, mais il confirme d’autant plus le côté artificiel de l’intrigue politique adaptée du comics, qui apparaît comme un cheveu sur la soupe et devient un simple ressort scénaristique (abandonné après Infinity War d’ailleurs). Au final, Captain America : Civil War souffre simplement de la comparaison avec l’œuvre dont il s’inspire, référence des comics du XXIe siècle où tout paraît plus grand, plus cruel et plus dramatique. Est-ce une adaptation ratée ? Oui, car elle ne s’assume pas, et ne garde finalement de Civil War que le nom et un prétexte.

Pour approfondir

Sorti en 2006, Civil War a considérablement modifié le paysage de l’univers Marvel, et ses répercussions s’étendent sur plusieurs années de publication. Le fiasco provoqué par ce conflit va ouvrir la porte aux Skrulls, des aliens métamorphes qui ont réussi à infiltrer la Terre. Ce nouvel affrontement est raconté dans Secret Invasion, écrit par un autre grand nom, Brian M. Bendis, et jouira bientôt d’une adaptation sur Disney + (qui sortira au printemps si tout va bien, et on parlera certainement du comics). Les Thunderbolts, menés par Norman Osborn (aka le Bouffon Vert), profitent du chaos permanent pour se faire une place de choix et supplanter les Avengers, ce qui mène à l’arc Dark Avengers en 2009. 

Les Thunderbolts, version énervée

Mark Millar va lui continuer à écrire des comics réputés, avec Kick-Ass en 2008 (adapté en film en 2010), la série post-apocalyptique Old Man Logan mettant en scène un Wolverine vieillissant ou encore The Secret Service, qui sera également adapté au cinéma sous le nom de Kingsman (2015). Son travail est universellement reconnu, et il est aujourd’hui une référence du comics de super-héros. Petit conseil de lecture, son Marvel Knights : Spider-Man en 12 numéros est une petite pépite et est en plus très accessible aux néophytes. 

Sinon, Panini a récemment réédité l’arc principal de Civil War en une édition Must Have moins chère que vous pouvez retrouver juste ici. L’intégralité de l’event est disponible en six albums deluxe, avec le premier tome à retrouver ici. Vous pouvez retrouver sur le site notre dernière chronique sur le film Hulk de 2003, mais aussi les dernières actualités sur le MCU, comme le scénariste du prochain Avengers, ou encore pourquoi Black Panther : Wakanda Forever pourrait ne pas sortir au cinéma en France.

Owen

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