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Les comics et le MCU #4 : La folie Moon Knight par Jeff Lemire

  • Owen 

Sans les comics, le MCU n’existerait pas. S’il n’hésite pas à s’en éloigner pour créer sa propre histoire, le point de départ de chacun de ses films et séries reste néanmoins ancré dans son matériau d’origine. Ainsi, chaque mois nous allons essayer de nous intéresser à un comics qui a pu servir de base à une œuvre de l’univers cinématographique, sans spoilers et pour vous donner l’envie d’approfondir. C’est le mois d’octobre, d’Halloween et des monstres, l’occasion de revenir aujourd’hui sur un des anti-héros les plus fascinants de l’univers Marvel et son adaptation en série.

Un chevalier blanc à la cape tachée de sang

Même s’il est un peu cliché, vous connaissez sans doute l’adage : quand DC raconte l’histoire de dieux tombés parmi les hommes, Marvel s’attache plutôt à des hommes élevés au rang de dieux. Le cas Moon Knight vient ainsi briser cette dynamique et impose un nouveau rapport de force : un homme sauvé par un dieu et forcé de le servir. Marc Spector est né dans les pages d’un autre anti-héros de l’écurie Marvel, Jack Russell, alias Werewolf by Night (qui a récemment eu droit à un excellent Halloween Special sur Disney+), et se présente alors comme un mercenaire chargé de traquer le loup-garou.

Sa popularité immédiate, grandement aidée par son design atypique, pousse Marvel à faire de lui un personnage à part entière, lui créant une série propre et changeant ses origines pour le rendre encore plus unique. Si Marc a toujours un passé de mercenaire, il est révélé qu’il est mort lors d’une mission et a été ressuscité par le dieu égyptien de la lune Khonshu, qui lui donne des pouvoirs et son costume de Moon Knight. Le scénariste Doug Moench, qui travaillera plus tard sur Batman, garde volontairement une ambiguïté autour de l’existence réelle de Khonsu, qui fera tout le sel du personnage et laissera ses successeurs s’amuser avec la perception des lecteurs.

La première apparition de Moon Knight, dans Werewolf By Night #32 (1975)

Car la particularité de ce héros est bien son rapport à la réalité, ainsi que ses différentes personnalités plus ou moins mises en avant en fonction du scénariste. Dans ses premières séries, jamais il n’est fait mention d’un trouble dissociatif de l’identité, maladie qui lui sera attribuée dans des runs bien plus récents. Marc Spector utilise deux alter egos pour mener à bien ses missions : Steven Grant est un riche homme d’affaires capable de fréquenter la haute société, alors que Jake Lockley est un chauffeur de taxi new-yorkais plus à même de s’infiltrer dans les bas-fonds de la ville. Au fil des séries et des scénaristes, ces avatars vont devenir de plus en plus importants dans la construction du personnage, jusqu’à être repris par la série sortie sur Disney+ cette année.

Marc Spector + Jake Lockley + Steven Grant = Moon Knight

L’intérêt certain des comics Moon Knight, c’est que chacun de ses runs est une expérience en soi, défini par les volontés de son scénariste. Plutôt méconnu du grand public (avant son introduction dans le MCU), Moon Knight permet de jouer avec les codes et avec les genres, si bien que tous ses runs adoptent une tonalité différente. En 2006, Charlie Huston fait le choix d’une histoire brutale et extrêmement sombre, où le trouble dissociatif du héros est complètement remis en question. En 2011, le réputé Brian M Bendis (aux commandes de Secret Invasion par exemple) donne des nouvelles personnalités à Moon Knight, qui prennent la forme de Spider-Man, Captain America et Wolverine. Trois ans après, Warren Ellis crée l’alter ego Mr Knight et donne à son histoire une ambiance de polar assez géniale. Son statut particulier et son caractère de narrateur douteux confère à cet anti-héros un charme assez unique dans la grande écurie Marvel, et dans le cadre de la relance All-New, All-Different de la plupart des titres de la Maison des Idées, Jeff Lemire s’empare pleinement de la tragédie du chevalier de la lune pour écrire un run d’anthologie.

Un perpétuel combat intérieur

Ancien de DC, Lemire veut bousculer la mythologie de Moon Knight et replacer ses identités au cœur du jeu. Il déclare vouloir “vraiment explorer la maladie mentale à travers ce personnage” et place au cœur des enjeux la lutte interne qui agite Marc Spector et ses multiples facettes. Les troubles du héros ne sont plus traités comme un artifice ou une simple difficulté à surmonter, mais cette fois-ci bel et bien présentés comme une maladie mentale dont il souffre. 

Cet arc revient aux origines mêmes des identités multiples qu’arbore Spector, avec la création de Steven Grant dans son enfance, puis de Jake Lockley, chacun dans un but précis : le premier pour pallier la solitude d’un enfant aux parents absents, le second pour gérer les émotions fortes. Comme toujours, le quatrième avatar est laissé volontairement ambigu avec Khonshu, le dieu de la lune. Est-il un véritable dieu ? Une entité extraterrestre ? Ou une pure invention ?

L’auteur nous embarque ainsi dans une fascinante étude de la psyché du personnage, et va plus loin que la simple perception que les lecteurs (et le reste de l’univers également) avaient sur lui. Marc Spector, et Moon Knight par conséquent, n’est pas un simple fou ultraviolent mais un homme réellement malade au cœur d’une vie terriblement tragique. Forcé toute sa vie de se battre contre lui-même, il apprend à s’allier avec ses multiples personnalités qu’il a de nombreuses fois rejetées, et accepte enfin sa situation.

Un enfant et un dieu

Tout ceci est également rendu possible par la construction du récit autour de Khonshu. En modifiant légèrement le canon, Lemire donne une nouvelle place au fourbe dieu, insinuant même que celui-ci est à la base de la condition de son futur avatar. Dans le dédale que forme son esprit, Spector se souvient ainsi avoir aperçu plusieurs fois l’homme à la tête d’oiseau qui le tourmentera pendant des années. Ce twist est intéressant car il renverse le rapport de force entre les deux, qui se fondait jusqu’à maintenant sur un échange de services : Khonsu a ressuscité Marc Spector en Moon Knight, et ce dernier affronte (et tue) les criminels pour le compte de son maître. Le dieu de la lune devient plus qu’un tourmenteur, mais un véritable antagoniste avec un lien très personnel avec son ancien allié. Marc s’embarque alors dans une mission pour réparer son esprit et mettre fin à son combat intérieur, avant d’attaquer ce qui pourrait être son dernier combat.

Rêve ou folie : un jeu sur les frontières du réel

Attention à ne pas se perdre, cette histoire est dure à suivre et c’est le but. Quand Lemire dit qu’il veut plonger le lecteur au coeur de la maladie mentale de son protagoniste, il ne ment pas, et nous envoie dans un voyage complètement fou, à la limite du psychédélique, dans l’esprit (voire les esprits) d’un anti-héros qui cherche un sens à son existence. Marc se réveille ainsi dans un hôpital psychiatrique, où un docteur lui explique qu’il s’est persuadé d’être un super-héros appelé Moon Knight (si ça vous rappelle quelque chose, la série du MCU adapte complètement ce run, mais on va y venir bientôt). Il parvient finalement à s’échapper, avec l’aide pour le moment de Khonshu, pour constater qu’à l’extérieur, New York est ravagé par une tempête de sable et une attaque par de mystérieux antagonistes. Pourtant, le temps d’un clignement des yeux, la situation est redevenue normale. La perception du réel est totalement remise en question pour le lecteur tant les deux mondes paraissent à la fois absurdes et dotés d’une forme de logique, ce qui rend le récit passionnant à suivre.

Une perception de la réalité complètement mise à mal

Dans le même temps, on plonge tête baissée dans les différentes facettes du héros, coincé dans un trip où chacune de ses personnalités tente de prendre le contrôle. Steven Grant se crée une illusion où il est producteur de cinéma et tente de faire un film sur Moon Knight (avec un panel meta hilarant sur le MCU au passage), joué par un acteur nommé Marc Spector qui lui pose des difficultés sur le tournage. Jake Lockley, au volant de son taxi à New-York, est embarqué bien malgré lui dans une affaire de meurtres. Enfin, une nouvelle personnalité vit une guerre spatiale complètement absurde contre des loups-garous dans l’espace (non, vous ne rêvez pas), ce qui est sans doute d’ailleurs une référence à la première apparition de Moon Knight dans Werewolf By Night #32. Si cet ensemble paraît dénué de logique et incohérent, il répond en réalité à la quête de Marc Spector pour faire la paix avec ses différentes identités, revenant ainsi sur ses origines dans la deuxième partie du run et sur comment Moon Knight est né.

Ce voyage est sublimé par le travail des dessinateurs, qui créent plusieurs styles pour chaque personnalité et donnent à ce récit une fibre picturale délirante : la simplicité du trait pour Steven Grant, un côté pop coloré pour Jake Lockley, et un aspect manga pour illustrer la folie de la personnalité naissante que nous appellerons ici l’astronaute. Les dessins de Greg Smallwood, qui gère la partie centrée sur Marc Spector (et qui avait déjà travaillé sur le personnage auparavant dans le non moins superbe run de Warren Ellis) sont toujours magnifiques et donnent une noblesse infinie au monde de Moon Knight.

Cette histoire se conclut enfin en apothéose, pas par un combat violent comme on peut en avoir l’habitude (voir le run sanglant de Charlie Huston), mais par une confrontation bien plus intime entre le héros et ses démons : Marc fait la paix avec ses identités et accepte de cohabiter avec elles, réalisant qu’il n’a jamais eu besoin de Khonsu pour exister, au contraire de ce dernier. Quand dans les dernières planches, un nouveau Marc Spector revêt son masque pour aller affronter le crime dans la nuit de New York, on est en droit de se demander si tout ce qu’on a lu jusque-là était bien arrivé. Peu importe, l’essentiel est ailleurs, et c’est bien là tout le génie de cet arc, sorte d’ovni dans les comics mainstream modernes, que le MCU a désespérément tenté d’adapter, sans grande réussite.

Moon Knight fait sa paix avec lui-même

La série Moon Knight, une déception à la hauteur des attentes

Quand Kevin Feige a annoncé une série sur Moon Knight fin 2019, le fan du personnage que je suis était naturellement très excité par les possibilités que cela laissait entrevoir. Peut-être allait-on enfin avoir un MCU sombre et torturé, violent et qui n’a pas peur de montrer une histoire mature et superbement écrite. Trois ans plus tard, aussi difficile que cela soit à admettre, c’est un cuisant échec. Peut-être pas aussi retentissant que les deux autres séries annoncées aux côtés de Moon Knight, Ms Marvel et She-Hulk, dont nous ne reparlerons pas, mais échec tout de même. On s’était posé la question du comics inadaptable avec Civil War le mois dernier, mais Netflix a montré que porter à l’écran un anti-héros sombre de manière très qualitative était possible avec Daredevil. Voire même un personnage complètement dingue aux méthodes ultraviolentes avec le moins réussi mais intéressant Punisher. La bonne question à se poser serait plutôt : est-ce qu’un personnage comme Moon Knight est compatible avec le MCU et ses dogmes ? Voilà qui mérite réflexion.

En 2019, l’empire mené par Kevin Feige est au sommet de sa gloire après la sortie d’Avengers : Endgame, deuxième plus gros succès au box-office de tous les temps et qui conclut admirablement la Saga de l’Infini. Comment ? Grâce à une formule implacable basée sur des films accessibles, un humour devenu signature, et des personnages attachants incarnés par des supers acteurs. Face à l’écroulement de la concurrence après la catastrophe Justice League en 2017, Marvel est désormais l’unique superpuissance en matière de blockbusters super-héroïques, et ravage tout sur son passage. L’arrivée de Disney+ répond à une volonté d’encore étendre l’univers et pouvait susciter l’espoir d’un renouveau et de tentatives audacieuses. Pourtant, Moon Knight ressemble à beaucoup d’autres productions de la franchise, avec un humour omniprésent et maintenant des effets spéciaux douteux (liés à la crise qui secoue actuellement l’industrie des artistes VFX).

Arrivera-t-on à pardonner Marvel un jour ?

Le premier épisode laissait pourtant présager des choses intéressantes. Le choix de placer Steven Grant en protagoniste, au moins au début, constituait même une des meilleures idées de la série en jouant le même rôle que le spectateur, phénomène accentué par l’utilisation des ellipses. Mais la suite fut une plutôt grande déception. Incapable d’assumer le héros qu’elle tente d’amener à l’écran, la série se plante dans le décor en proposant une sorte d’aventure à la Indiana Jones, où les combats sont mous et mal chorégraphiés (encore une fois pas aidés par des effets spéciaux ratés), où le scénario avance difficilement et ne sait pas vraiment où il va, et surtout avec une désacralisation d’un des personnages les plus fascinants de Marvel. Donner l’alter ego de Mr Knight à Steven Grant aurait pu marcher, mais difficile de suivre quand il est traité comme une blague, avec le stéréotype du civil qui apprend à être un super-héros piqué à Ant-Man. Le tout menant à un final ultra classique dans lequel deux gros monstres en CGI s’affrontent en arrière-plan et le chevalier blanc bat le méchant grâce à une nouvelle ellipse (une de trop). Ne retrouvant jamais le génie des comics, la série ne parvient même jamais à trouver son ton, tiraillée entre proposer quelque chose de nouveau qui sort des sentiers battus ou quelque chose qui va plaire au grand public (le syndrome Eternals en somme).

Peut-on pour autant sauver le soldat Moon Knight ? Pas entièrement, mais la série affiche parfois des bribes d’ambition qui s’ajoutent à la frustration à son sujet. Son épisode 5, qui pousse le MCU vers des nouveaux sommets de drame et revisite avec audace les origines du personnage, est un modèle du genre, et peut-être l’un des meilleurs contenus Marvel sur Disney+ à lui seul. Alors que la série tente par tous les moyens de retrouver l’essence des comics de Lemire, cette parenthèse enchantée parvient à être un coup de force et une adaptation réussie, l’espace de 50 minutes. Ensuite, impossible de ne pas évoquer le talent des acteurs, et particulièrement Oscar Isaac, qui campe avec brio l’anti-héros et ses multiples personnalités. Les seconds rôles de May Calamawy et Ethan Hawke sont également efficaces et permettent d’offrir des qualités rédemptrices à Moon Knight. Enfin, et même si l’espoir est mince, la fin laisse présager d’une possible saison 2 capable de remonter la pente. Parce que ce héros, si complexe et fascinant, mérite certainement mieux, et parce que le voir à l’écran est quand même un sacré plaisir. Mais aussi parce que Marvel a prouvé avec son très bon Halloween Special sur Werewolf by Night qu’il était capable de produire des choses intéressantes sur ses monstres les plus tordus. Alors, en attendant l’annonce de cette possible saison 2, croisons les doigts (et lisons du Moon Knight).

Le meilleur épisode de la série, avec un Oscar Isaac bouleversant... On demande ça sur une saison entière

Pour approfondir

Le run de Jeff Lemire sur Moon Knight est disponible dans un album de plus de 300 pages disponible juste ici, mais je vous invite vivement à vous plonger dans d’autres histoires du chevalier blanc, avec par exemple le viscéral passage de Charlie Huston. Le titre a été repris par Jed MacKay en 2021, et est également une franche réussite pour le moment (les 5 premiers numéros sont contenus dans cet album). Si vous ne l’avez pas déjà vu, faites-vous votre propre avis sur la série, constituée de six épisodes sur Disney+. 

Le futur de Moon Knight dans le MCU est encore flou, surtout après une réaction assez tiède du public. Cependant Oscar Isaac a plusieurs fois déclaré en interview que les discussions étaient en cours pour déterminer la marche à suivre, et a déjà teasé une saison 2 de la série. Avec l’arrivée de Werewolf by Night et celle future de Blade (malgré un film repoussé de plusieurs mois), on peut également supposer qu’un crossover des Midnight Sons est sur la table de Kevin Feige, mais, avec un calendrier déjà surchargé et deux films Avengers en route pour 2025 et 2026, difficile d’être certain de quoi que ce soit. 

Les Midnight Sons
Owen

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